Notre perception classique est fondé
sur un paradigme de séparation, de distinction et de progrès
obligatoire. Nous pensons donc qu'il nous faille trafiquer notre
existence pour arriver à devenir quelqu'un, gagner de l'argent,
réussir sa vie dans différents domaines, comprendre la vie, etc.
Nous avons été habitués depuis tout jeune à percevoir la vie d'une
certaine façon. Nous voyons par exemple qu'en fonction de la culture
où nous avons grandit, nous ne percevons pas le monde de la même
façon. Évidemment ce n'est pas un « mal » ou une erreur
de l'évolution de l'espèce, ou une erreur de « Dieu »,
c'est juste ce qui est, c'est comme ça. Simplement, pour certains
d'entre nous, cette façon de percevoir le réel peut évoluer, que
ce soit de façon volontaire, ou par « accident » ou
simplement en prenant de l'âge. Nous comprenons également que la
façon dont nous percevons les choses, nous mène à plus ou moins
souffrir, comme si certaines façons de percevoir pouvaient nous
permettre de « mieux vivre », de moins souffrir, d'être
plus heureux. C'est un fait partagé et l'expérience de beaucoup.
Donc il peut être intéressant,
jusqu’à un certain point, de vouloir changer sa manière de
percevoir le monde, de cultiver une attitude qui fera évoluer nos
croyances (et donc notre perception), nous amenant ainsi jusqu'à un
certain degré de satisfaction existentielle. Ça marche, jusqu'à un
certain point. Au-delà de ce point, vouloir changer sa perception
des choses afin de se changer et d'améliorer son quotidien trouvera
des limites... En effet, il semble que notre pouvoir à nous changer
et à être plus heureux ait des limites, et, pourrait même parfois
en fait nous rajouter du stress (de la souffrance), plutôt que de
nous en enlever ! C'est un fait également partagé par
beaucoup.
De mon point de vue, et de mon
expérience, il y a une perspective qui nous permet de continuer
d'évoluer (et donc de continuer d'être de plus en plus heureux),
mais qui ne passe pas par notre volonté délibérée de le faire ;
c'est comme se laisser grandir, sans pour autant juger notre état
présent comme étant inadéquat. Il s'agit simplement de la voie du
milieu. On ne s'oppose pas au grandir, ni aux choses telles qu'elles
sont dans le présent. Cette posture à quelque chose de paradoxal,
et semble impossible pour notre raison, qui préférerait choisir une
attitude claire et définie, voire définitive (afin de se sentir
dans une sécurité conceptuelle, d'une vérité prédéfinie),
plutôt qu'un positionnement insaisissable et artistique. Car dans
cette posture médiane, nous ne nous fixons plus sur une option
spirituelle plus qu'une autre. Nous ne nous définissons plus selon
un modèle préétabli de conception spirituelle. Ainsi, une « zone »
d'inconnu s'ouvre, ne laissant plus vraiment de place pour quelque
chose de définit « en dur » ; nous ne pouvons plus
nous fixer... c'est une posture d'équilibre, et souvent très
inconfortable pour la partie de nous qui aimerait savoir, tenir,
conclure, etc.
Dans cette voie du milieu, il n'est
plus conçu de séparation ou de distinction entre le paradis et
l'enfer par exemple, d'état éveillé ou d'état non-éveillé,
d'état de connaissance ou d'état d'ignorance, de partie de nous
supérieures et de parties de nous inférieures, de nature
essentielle opposée à une nature pas essentielle, etc. Ce qui fait,
en définitive, que nous pouvons parfois avoir le sentiment d'être
complètement perdus, de ne plus savoir à quel saint se vouer, dans
la mesure, ou toutes les conceptions et représentations que nous
avons par rapport au vivant, sont à la fois toutes vraies (en tant
que point de vue) et toutes fausses. Nous ne pouvons plus refouler ce
que nous croyons mauvais, ou nous attacher à ce qui nous semble
bon...
Néanmoins, en commençant à rentrer
dans cette posture, nous ressentirons que notre tendance à juger et
à nous attacher diminue avec le temps ; ce qui nous paraissait
si important l'est de moins en moins, et ce qui nous paraissait
futile prend soudain une nouvelle importance, insoupçonnée
auparavant. Ainsi, c'est comme si un rééquilibrage des énergies se
mettait en route, sans pour autant qu'un idéal d'équilibre soit
imposé ou même conçu. La vie devient bien plus fluide, sans pour
autant que nous nous fixions sur la fluidité, comme un idéal, ou
une preuve de notre « réussite ».
Donc, le changement de perception amène
réellement du changement. Toutefois, nous arrivons au point où nous
ne cherchons pas forcément à changer de point vue, car nous ne
jugeons plus notre point de vue présent en le comparant à un point
du vue futur meilleur. Nous ne cherchons pas non plus à maintenir
notre point de vue présent, en croyant qu'il est meilleur qu'un
point de vue plus ancien ou à venir. Il n'y a donc, à ce stade,
plus de tentative pour « trafiquer » notre expérience,
en vue d'une expérience meilleure, ni de tentative de ne pas faire
évoluer les choses.